samedi 30 mai 2015

Existe-t-il un nom autochtone pour la Nouvelle-Calédonie?

EXISTE-T-IL UN NOM AUTOCHTONE
POUR LA NOUVELLE-CALEDONIE ET LES             
LOYAUTE ?
L’ensemble Nouvelle-Calédonie et Loyauté est le fruit de l’histoire aléatoire de la colonisation française et l’ensemble aurait aussi bien pu englober Tanna, Anatom ou Santo au Vanuatu, qui se trouvent à deux nuits de pirogue de Maré,  que les actuelles et lointaines « dépendances »  Clipperton, Matthew et Hunter (revendiquées par Vanuatu), Walpole, les Chesterfield ou les Belep. L’irréductible hétérogénéité créée par la trentaine d’isolats divers ne pouvait trouver de  mot pour désigner un ensemble aussi artificiel, comme cela est fréquent pour les noms de grande île peuplée de plusieurs ethnies  telle la Nouvelle-Guinée ou  la Nouvelle-Irlande, ou d’archipels comme les Salomon qui ont dû garder le nom des colonisateurs, se contentant de  renoncer au nom de  Guadarcanal à cause de sa ressemblance espagnole pour Honiara Renonçons donc d’emblée à un nom qui englobe les Loyauté et demandons-nous s’il y a un nom qui ait désigné la Nouvelle-Calédonie seule, mais prise dans sa totalité. .
I) Le « groupe de Balade ».
Le « groupe de Balade » : telle a été la première appellation utilisée par les Européens pour désigner la Nouvelle-Calédonie qui se limitait pour eux à cette portion du territoire. Balade, Belep,  Balabio  font écho à  Ballarat en Australie, à Bali en Indonésie ou à Bali  aux îles Vitu  en Papouasie-Nouvelle-Guinée , Narbade aux Antilles et renvoient à la Grande Déesse du Serpent. Par une curieuse coïncidence, le mot Calédonie, d’apparence écossaise, mais  emprunté à l’ibère, signifie également le Serpent.
II) La terre d’Ohao ou Opao.
1) La découverte , par un ancien professeur du Lycée Lapérouse , Joël Dauphiné,  des « Opaos »  à Balade en 1844 lors d’un premier rattachement à la France rapidement annulé.
 Un ancien professeur d’histoire du Lycée Lapérouse , ( « Du nouveau sur la première prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France (1843-1846) » in La France et le Pacifique, étude sous la direction de Paul De Dekker et de Pierre-Yves Toullelan, société française d’histoire d’Outre-Mer, Paris, 1990, pp. 11-130), a attiré l’attention sur le nom qui apparaît lors de cette prise de possession ratée : les « Opaos » ou « les chefs de l’île d’Opao ».Voici le  texte qu’il a déniché , tel qu’il est  cité dans Gabriel Paita, témoignage Kanak, D’Opao au pays de la Nouvelle-Calédonie, de J. Cazaumayou et Thomas de Dekker (L’Harmattan), p.18:
 « Nous, Chefs de l’île d’Opao (Nouvelle-Calédonie) :
Pakili Pouma, roi du pays de Koko, Dolio et Toe, frères du roi de Koko,
-Paiama, chef du pays de Balade,  Goa-Pouma, frère du chef de Balade, et ses frères Tiangou et Oundo, Teneondi Tombo, roi de Kouma [Koumac] et ses frères Chope Meaou, Ouloi et Ghibat, Au nom du roi de Bondé, ses fils Dounouma- Tchapea, Kohin et Huangheno,
… plaçant nos personnes  et notre terre d’Opao (Nouvelle-Calédonie)  sous leur haute protection vis-à-vis de toutes les autres  puissances étrangères, adoptons pour nôtre le pavillon français que nous jurons de faire respecter par tous les moyens en notre pouvoir. »
  Remarquons d’abord que Opao n’équivaut pas à la Nouvelle-Calédonie entière, comme l’avait déjà fait remarquer B. Brou, mais seulement aux terres sous la souveraineté du roi de Koko (Pouebo de Re Pweo) ainsi que de ses vassaux le chef de Balade, le roi de Koumac et  le roi de Bondé, parlant tous trois d’autres langues que celle du roi de Koko. Le nom de Koko correspond à Koké en Nouvelle-Guinée et à  Kake à Canala.   Remarquons que la forme opao utilisée en 1844 par les interprètes  polynésiens du chef de Pouébo qui  utilisent aussi  le terme polynésien pour chef, aliki, ou pour dire qu’ils sont d’accord, leleï , est une prononciation polynésienne du mélanésien   wahoo que nous verrons ci-après. Selon G. Païta, Opao serait le nom donné à la Grande Terre en 1844 par les habitants polynésiens d’Ouvéa (op. cit. p.16, note). Aux Marquises on a Ouapou, proche de Opao (cité par G. Coquilhat sur le net dans Approche pour une lecture des pétroglyphes néo-calédonien d’après son article du Bulletin de la SEHNC N° 79 « Pétyroglyphes de Tchambouène »):et en Papouasie-Nouvelle-Guinée une île appelée Opao proche d’Orokolo . Ce sont des nom  polynésiens.

2) Les témoignages du chef Koudjima  et de Gabriel Païta sur la migration des Haveke depuis la Papouasie et leurs conquêtes  en «  terre d’Ohao » ou « de Waho ».
a)La déclaration du chef des Pouebo, Koudjima
Nous avons la bonne fortune d’avoir l’histoire de son peuple racontée par le chef Koudjima lui-même, grâce à Jules Durand qui a recueilli en 1898 et publié en 1908 ses déclarations  dans Chez les Ouébias (republié par G. Coquilhat sur le net dans Approche pour une lecture des pétroglyphes néo-calédoniens) :
 « Nous étions loin, bien loin d’ici, là-bas où le soleil se couche dans notre patrie lointaine, Ahaké [aujourd’hui Koké de Kawaké en Nouvelle-Guinée –Papouasie] avec beaucoup, avec beaucoup de Canaques en train de construire des pirogues, lorsque le fils du chef qui jouait parmi nous fut victime d’un déplorable accident : une des haches de pierre que tenait un travailleur frappa malheureusement l’enfant qui fut tué.»
Par crainte de la colère du chef ils décident de s’enfuir à bord des pirogues. Le chef les avertit et prophétise : « Vous ne trouverez des terres que loin, très loin d’ici, du côté où le soleil se lève, où vont les courants et la brise. Et retenez mes paroles, car vous rencontrerez  beaucoup d’écueils, des flots dangereux et stériles : ne vous arrêtez pas là ! Mais lorsque, après avoir longtemps voyagé, vous serez à bout de vos vivres, vous découvrirez une première île [au Vanuatu, près de  Mallikolo au Vanuatu, la petite île Avokh où l’on reconnaît le nom de la langue calédonienne des Pouébos et des gens d’Oundjo,  l’aveké ], ne vous arrêtez pas là…
« Vous en verrez une autre plus grande [132 Km²], avec des cocotiers [Ouvéa, anciennement Ahaké ou Ouvake de Awake, paronyme du nom polynésien Ouvéa ], ne vous arrêtez pas là.
« Puis une troisième [île, la Nouvelle-Calédonie, Ohao], hérissée de récifs, en face
[d’ Ouvéa], ayant de hautes montagnes ;  débarquez-y votre malade [à l’îlot Poudioué dont le nom est interprété comme signifiant l’homme malade, prophétie étymologique après coup bien entendu, car il s’agit probablement du souvenir déformé du premier enterrement d’un blanc, le 6 mai 1793, 3 jours avant le départ des deux bâtiments l’Espérance et la Recherche,   de nuit et avec toutes sortes de précautions, ce qui marqua fortement l’imagination de tous les Kanaks ; il s’agissait du commandant l’Espérance,  Huon de Kermadec,de l’expédition d’Entrecasteaux à la recherche de Lapérouse] et visitez la côte (est] car elle sera habitée (par les gens de Balade). .Quand les poissons sauteront sur l’eau autour des pirogues [autre prophétie étymologique qui joue sur le nom du waho, thon- banane, Acanthocybium solandri, gros poisson de plus de 2 mètres, avec le  nom voisin des Ohao], arrêtez-vous là [près de Pouébo, forme anciennement attestée Pweo, de  Weo, de Ohao]
« C’est ainsi que nous arrivâmes dans des parages peuplés de guerriers [les gens de Balade], lesquels avaient remplacé déjà des naturels  ne sachant pas construire des cases et vivant dans des trous (les Tuas qui donnent leur nom à Touho [de Toua] et occupent la région des Poyes, où mon ami le chef Néa Kyolet Galet me montra les grottes secrètes où ses hommes et lui se réfugièrent lors des troubles de 1917 : c’étaient ces « trous » dont parle Koudjima).
 « Il y eut de grandes guerres au commencement [entre gens de Balade qui s’étendaient bien au-delà de  Pouebo et gens nouvellement arrivés], dans l’endroit où l’on avait débarqué le malade et, victorieux, nous nous sommes par la suite des temps fondus avec les autres et répandus de toutes parts sur la terre d’Ohao.». Soulignons que le chef de Pouébo utilise en 1898 la forme Ohao qui correspond  bien, avec une autre graphie, à wahoo. .
Quant au  nom de l’îlot  Poudioué ,  son nom  vient en réalité de pwa yawe, c’est-à-dire îlot qui appartient au peuple  haveké, même si, dans la prophétie, il est interprété comme l’îlot de  l’homme malade, Huon de Kermadec. On peut déduire de cette déclaration que l’arrivée en Calédonie  a dû avoir lieu vers 1793.



b) L’expansion, conquérante des Kamba -Wassio selon un de leurs descendants, G. Païta : après Ouvéa et le nord, Canala, le sud, l’île des Pins, Maré
La grande Chefferie de Canala porte les noms de Kaké (de kaveke) Wathio (Wassio) et G. Païta écrit (op. cit. p.28) : « Les Kambwa [Kamba] furent toujours alliés au clan Bakea, ou Baghéa de la grande chefferie de Canala : « nous sommes famille », comme l’on dit ici. D’ailleurs, à Canala, ils appellent Bakéa [yakéak cf. le nom du chef Kaféat, de kaveke-at  (suffixe indiquant la descendance)  les gens de Païta ! » La grande chefferie de Canala a subi l’influence des Haveke : les noms propres Kake ,  Wassio, Bakéa en sont des marques.
G. Païta a brièvement évoqué la suite des conquêtes de ce peuple martial dont il descend par la grande chefferie des Kaba ou Tchambas- Meindu,  la grande chefferie d’Ouvéa (la première escale de la migration) étant, selon G. Païta,  sa  parente.   Avec 10000 guerriers (hyperbole !),   son descendant Poré  conquiert le sud (il y a laissé le nom de Yaoué pour Yawek),   s’installe vers  la Tontouta, puis à l’île Nou,  conquiert l’île des Pins où les noms de Vao (de wao) et  du pic N’ga qu’on retrouve dans la région de Païta rappelleraient  ses conquêtes et enfin part  à l’attaque de Maré, où il introduit la paille et le niaouli, à Wabao (de wa avao). Sur trois générations, dit G. Paita, soit en 60 ans, les Kambas- Wassio donnent naissance à 400 personnes, ce qui montre leur fécondité. Poré est le conquérant qui a tenté d’unifier, mais en vain, la Calédonie et les îles. 
  Quelle est la langue de ces conquérants, avec ses nombreuses variations dialectales ? Elle s’appelle le haveke (Oundjo, Gatope, Tieta) , le hmwa-haveke (Tieta) où hmwa signifie langage ,   l’haeke (Kone et Baco), le mwen- ebek (mwen signifiant langageou ca aak (ca signifiant parler et aak venant de avak) à Pouébo  et à la Conception, le béko, parlé depuis  Ti waka (de ti, rivière et waka, la rivière des Havekés ) jusqu’à Tié(même sens ; de ti et de ewaek) et le tié en zone camuki parlé aux Poyes, à Tiwaé et à Touho
Mais avant de se fixer en Nouvelle- Calédonie, les Havekés se sont installé  à Ouvéa  et ont laissé leur langue à Fayawé, de fa, signifiant langue  et de yawek, leur nom. Cette langue s’appelle le iaai, de yawe . Citons aussi le fwa aai de Hienghène, de fwa, langage, et de yawe, ainsi que le  yawe (pour yawek), parlé à  Ouayaguette de (wa yawet pour yawek),  et Ouaième(de wa ayek.; le pwaa mei , langue agonisante parlée  à Faténaoué (de fa, rivière, tena pour vena, pays, aoué pour awek) célèbre pour ses momies faites comme  dans la patrie d’origine, à Koke en Papouasie ; le vaamale ou paamale, dialecte de l’hmwaeke parlé dans une partie de  Oué Hava(de oué, rivière, et de hava de Hawaka)  et l’abwewe(de abwa –aweke) ou orowe dans la région de Bourail. Aucune langue calédonienne n’a une telle extension.

c) L’origine du nom wahoo ou owao pour le nord calédonien et les migrations lointaines des Papouas Havekés (même mot que papoua).
Les Polynésiens  connaissent, entre autres, le nom de Oahou aux Hawaï et de Hao aux Touamotou selon G. Coquilhat (op. cit.) et ils chantent une patrie originelle appelée Hawaïki, dont ils ont donné le nom aux Hawaï. Tahiti, dans les nostalgiques mélopées polynésiennes, est appelée Awé Awé o taiti, ce qui n’est plus toujours compris mais signifie «   la lointaine Awe ». Awé, Hawaïki nous renvoient à Haveke : quelle était donc cette île ? Il s’agit de Formose, que nous nommons ainsi d’après son  nom latin Formosa qui signifie  la belle, que les Chinois nomment Taïwan, mais qui pour les peuples autochtones est Paiwan. Les linguistes et généticiens remontent même plus haut, en Birmanie, dans la province d’Araukhanie (Cf. le mot ouragan, hurricane en anglais emprunté à une langue caraïbe pour désigner le dieu, spécialisé ensuite dans les manifestations violentes de la Nature), qui  a donné son nom à Païwan (de abaukania qui donne baikwan ).Païwan donne à son tour Haikaïwi, puis par métathèse Hawaïki.
 Les Papouas ont gardé le k initial à la différence des Polynésiens chez lesquels  il a été remplacé par un coup de glotte noté h. et  pour désigner Formose ils se servent   du mot Kavake (mélanésien Cavatch, Kaféat), avec le k conservé  D’Araukhanie en Birmanie nous pouvons les suivre  en Papouasie-Nouvelle-Guinée à Koké (de kaveke) où , comme bous avons pu le voir dans une récente émission télévisée faire par une archéologue allemande,  leurs cousins continuent aujourd’hui à fabriquer des momies comme aux bords de la  Faténaoué. A partir des formes évoluées  où le coup de glotte a remplacé le k , savoir Havaike ou Haveke, ils ont baptisé leurs nouveaux  lieux d’installation Avokh au Vanuatu près de Mallikolo, et  Havake  à Ouvéa devenu (Fa) Ayawe. Sur la Grande Terre, ils se sont plus tard installés près de Pouébo  à Ouvak (où l’on reconnaît sans peine Aveke)  à  Ouvanou (de ouvak -vanou, la terre ouvak) et à  Pouébo, de Pweo. , toutes formes attestées, le nom de  Pouébo ou plutôt de Pweo venant de pwa langage et de evo (de aveke). Le mot evo évolue phonétiquement en Oao ou Ohao, le nom donné au nord du  territoire, et au nord seulement

III) La récente  Kanaky (avec altération orthographique du suffixe français –ie).
Lorsque Cook débarqua à Balade, le mot employé fut celui d’Indien, puis de Néo-Calédonien. A Hawai, Cook nota le terme polynésien de kanak pour désigner l’homme en général. A Canala le mot tamata, à Houailou, le mot kamo lui correspondent  et j’entends encore Lacan,  dans un séminaire à l’Ecole normale supérieure , citer do kamo, le vrai homme de Leenhardt en tonnant contre ces primitifs pour qui il y avait de vrais hommes . Et les autres ? Est-ce des sous-hommes ? En tout cas le mot canaque fut employé au XIXe siècle au sens de Polynésien et  désigne le Tahitien chez Gauguin. Les expressions « gueuler comme un canaque » ou « une denture de canaque » chez Flaubert, ou four canaque renvoient à un Polynésien comme l’injure du Capitaine Haddock qui signifie cannibale. . Les colons l’employèrent au sens de mâle et prirent le mot polynésien dont il est inséparable, celui de popiné (tahitien vahiné, fafiné) pour désigner la femme. Ils traduisirent les langoustines appelées demoiselles de mer (Parribacus caledonicus) par popiné.
 Que signifie donc  le mot polynésien kanak ? Il faut aller chercher l’austronésien   tel que défini par Otto Dempwolff pour en comprendre l’étymologie : le mot signifie l’homme en instance d’initiation, plus  exactement l’homme pas encore cuit, cru , par allusion à la cérémonie consistant à feindre de cuire le candidat à l’initiation  et de le manger
 IV) Le témoignage de Gabriel Païta, descendant de la grande chefferie wassio : du Parti fédéral Kanak de 1985 à la République fédérale d’ Opao en 1986. 
Gabriel. Païta  créa d’abord le Parti Fédéral Kanak, puis en 1986 il  rebaptisa son parti le Parti fédéral d’Opao. Voici les raisons qu’il en donne : « Le terme « kanak » contrariait nos amis européens, dit-il dans Gabriel Paita, témoignage Kanak, D’Opao au pays de la Nouvelle-Calédonie, de J. Cazaumayou et Thomas de Dekker (L’Harmattan), p. 186 , et le qualificatif « Calédonien » nous gênait. Qu’avions-nous avoir avec l’Ecosse ?... Pourquoi Opao ? Nous voulions donner au futur pays un nom venu des vieux, et qui ne soit pas importé. Il renvoyait au traité de protectorat passé le 1er janvier 1844 entre les clans du nord de la grande Terre et la France. Opao ? Parce que les Kanak ne pouvaient se reconnaître dans l’appellation « Calédoniens », un mot venu d’Europe .Parce que les Calédoniens et les autres communautés avaient le sentiment d’être exclus par le mot « Kanak », lui-même emprunté à la langue polynésienne . Opao faisait partie de l’héritage légué par les vieux de ce pays. Ce nom devait rassembler les hommes, plutôt que les diviser. »

  Aussi voit-on qu’historiquement et malgré la tentative de conquête papoua, il n’existe pas de mot pour unifier des tribus d’origines diverses. 

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