vendredi 22 janvier 2016

Où est l'Eldorado?

  Quelles réalités,  géographique et minéralogique , se cachent  derrière le mythe de l’Eldorado ?
Mettons à part la réminiscence d’un âge du cuivre ou du laiton, appelé orichalque et facile à travailler. ainsi que l’erreur de Christophe Colomb,  qui croyait  débarquer aux Indes et  espérait, sur la foi du livre de  Marco Polo, y trouver des cités de l’or, -les pagodes au toit  doré de Birmanie en réalité. Le mot El Dorado, d’origine espagnole,  apparaît en français en 1579 sous la plume de Benzoni : dorado, doré , puis en 1640 sous celle de Laet (eldorado, le doré).  En 1759, Voltaire le popularise dans Candide où il désigne une utopie. Le mot a ensuite  cédé la place au socialisme utopique, aux lendemains qui chantent, enfin aux énergies renouvelables.
Il y a deux hypothèses pour expliquer son origine : l’hypothèse sud-américaine et l’hypothèse des îles du Roi Salomon dans le Pacifique.
1) L’Amérique du sud
On invoque la coutume des Indiens Chibcha en Colombie : leur chef, fils du Soleil, couvert de poudre d’or à son intronisation, descendait dans l’eau du lac Guatavita, pour symboliser le coucher du soleil, tandis que ses sujets y lançaient des objets dorés représentant la barque  solaire dorée destinée à l’aider à « remonter » hors de l’eau pour éclairer les mortels.  Selon  Orellana, l’Eldorado se situerait  entre l’Orénoque et l’Amazone, près du lac immense de Pariné (décrit par Carvajal, mais ce lac n’existe pas : c’est l’amplification du lac Guatavita), avec la cité de l’or Manoa , laquelle n’existe pas non plus. L’américain Heckenberger a, en 1993, actualisé ces rumeurs en utilisant la photographie aérienne dans le cours supérieur du Rio Xingu (Etat du Mato Grosso au Brésil) et en repérant 19 islas dans une plaine, distantes de 32 kilomètres, reliées par un réseau de « routes – digues », en raison des inondations de la saison des pluies. Ce peuple serait  celui des Xinguano et ses descendants actuels seraient les Kouikourous.

2) L‘Eldorado était en réalité situé pour les Espagnols  aux îles du roi Salomon , en contact avec l’Afrique noire.
Les Austronésiens d’Asie étaient allés jusqu’en Amérique du Sud et avaient  fondé  des colonies prospères  en  Terre de Feu et en Patagonie. Celles-ci reproduisaient peut-être les pagodes dorées de Birmanie,   mais  l’ « or » qui éblouit tant les découvreurs espagnols était en réalité  un alliage de zinc et de cuivre.
   Or,  la première expédition inca, avant celle de l’Incas Tupac Yupanqui  à Mangareva aux îles  Gambier (Polynésie française) entre 1471 et 1493,  avait rapporté à Cusco « des prisonniers à face noire, une grande quantité d’or et d’argent, un trône en laiton ou en cuivre, une peau et des mandibules d’un animal semblable à un cheval ».
L’animal dont la mandibule et la peau ressemblaient à ceux d’un cheval était en réalité une chèvre introduite par les Espagnols. Dans Histoire de la découverte des régions australes de Pedro Fernandez de Quiros, p. 285, on peut lire : « Les chaloupes partirent aussitôt avec, à leur bord, un bouquet (jeune bouc),  une chèvre qu’on laissait aux Indiens (les Mélanésiens de Santo au Vanuatu)  pour qu’ils fassent souche. Les nôtres remirent le bouc et la chèvre aux Indiens, qui les examinèrent avec attention et en échangeant force commentaires à mi –voix [ces animaux sont pour eux des dieux]… (A leur retour, les nôtres) ne virent que le bouc et la chèvre qu’on avait attachés… ». A Taumako, op. cit. p.240, « un jour,  les Indiens virent les nôtres en train de manger des morceaux de viande, et demandèrent timidement [ils craignaient que ce ne fût  de la chair humaine] quelle viande c’était : pour le leur faire comprendre, on leur montra un bout de cuir avec ses poils, et, dès qu’ils le virent, l’un d’eux  se mit les mains sur la tête et fit d’autres signes fort clairs, pour nous faire comprendre que, sur ces grandes terres, il y avait des vaches ou des buffles [ou des chèvres]. P. 218, op. cit.,  « (Aux Touamotou, la vieille Indienne) regarda les chèvres comme si elle en avait déjà vu d’autres. » A noter que les « Indiens » de ces régions de Polynésie, nous dit-on,  travaillaient or ( ?) et argent  et en fabriquent boucles d’oreille et  lames de couteau.
Le trésor des Polynésiens de Mangareva , visitée par l’ Incas Tupac Yupangui,  venait, selon les insulaires,  des îles Hagua chumbi et Nina chumbi  qu’on a souvent cherché à  identifier sans certitude ; selon moi,  chumbi désigne  les Espagnols (les îles où les blancs sont venus),les îles Taumako et Vanikoro aux Salomons .  
  Caillot , cité par Rivet,  nous apprend que les Mangaréviens « seraient même allés en Amérique, à Taikoko et à Ragiriri, qui, si l’on en croit les indigènes actuels des îles Gambier,seraient la mer avoisinant le cap Horn et le détroit de Le Maire ou  peut-être celui de Magellan . » Mais il est bien plus probable que les Polynésiens soient allés ailleurs, jusqu’à Santa Cruz près des îles  Salomon ,  et  que Taikoko soit Taumako  tandis que Ragiriri serait cette île que nous appelons aujourd’hui Vanikoro , aux Salomons , anciennement Malikolo de Makiliiri (métathèse), altéré par les Polynésiens en Ninna , de Nani)+ Chumbi  : on y  rencontrait , selon Pedro Fernandez de Quiros, dans Histoire de la découverte des régions australes, des extrémités de casse-tête composées d’un gros morceau  imitant l’or, de la  chalcopyrite appelée artimonia par les indigènes,   Comme aux Philippines, sur l’île de Cobos (côte nord de l’île de Samar) , op. cit. , p. 147, les indigènes, au XVe siècle,  portaient aux oreilles de grands  anneaux ressemblant à de l’or et aux chevilles des bracelets de laiton doré qui, note Quiros, ont trompé quelques-uns de nos hommes (qui ont cru qu’il s’agissait d’or).   Et, op. cit.  p.243 : « ils fabriquent (ces boules d’artimonia) sur place (à Taumako), pour les fixer à l’extrémité de leurs bâtons et s’en servent ainsi de casse-tête. »
  En février 1568, l’Espagnol Mendana, parti du Pérou, avait  débarqué à Santa Isabel et recueilli à Malaita quelques objets en pseudo -or. Il avait  exploré les parages durant six mois sans trouver d’or, avant de quitter, déçu, l’archipel des Salomon.
  La rumeur de l’existence d’un Eldorado découvert par les Espagnols, même si le lieu en était gardé secret, concernait les îles Salomon (de là leur nom : les richesses du roi Salomon sont connues) et  aussi tant  les Philippines que Santa Cruz, où migraient des Africains ; de là les esclaves à peu noire  rapportés par l’Inca lors de leur première expédition de découverte, expédition que, au XVe siècle, Tupac Yupangui voulut rééditer sans y arriver. Des migrations en provenance d’Afrique noire sont arrivées aux Salomon et certains noirs sont retournés en Afrique, fait peu connu.
Sur le plan linguistique, le mot signifiant blanc,blancs espagnols , -les premiers qu’ils aient vus,-par suite  esprit, fantôme, être suprême,  dérivé par métathèse de hispanioli ,Espagnols de l’expédition de Mendana au XVIe siècle, se retrouve, non seulement aux Salomons  à Vanikoro où il s’agit des rescapés de l’expédition Lapérouse ( Ambi, Ngambé , etc. , voir mon blog sur Lapérouse), mais dans toute l’Afrique du sud , à l’ouest , chez les Bantous en particulier : voir note de Frazer, p.709, volume 2 du Rameau d’or, collection Bouquins, Atys et Osiris). Chez les tribus du Loango, du Congo, de l’Angola et du Bengouela, l’esprit se dit  Ambi,  Njambi,  Zambi, Nsambi, Ngambé, Njane, O- njame,  tandis que dans le Cameroun c’est Nzambi, etc. Dans John H. Weeks, Among Congo Cannibals, London, 1913, p.246 sqq., on peut lire :” Sur le Bas-Congo, on l’appelle Nzambi, ou, par son titre le plus complet, Nzambi a mpungu. ; on  n’a encore pas trouvé de racine satisfaisante pour Nzambi [et pour cause !]…Sur le Haut-Congo, chez le peuple Bobangi, le mot qui désigne l’Etre suprême est Nyambé ; chez les Lulangas, Nzakomba ; chez les Bolokis, Njambé ; chez les Bopotos, Libanza… Il est intéressant de noter que le nom le plus commun pour Etre suprême [entendez blanc, esprit] sur le Congo  est aussi connu, sous une forme ou  sous une autre, sur une vaste surface de l’Afrique, depuis le 6 e degré au nord de l’équateur jusqu’à l’extrême sud de l’Afrique ; par exemple, chez les Ashantis, c’est Onyame, au Gabon, c’est Anyambie, et, à 3000 kilomètres de là , chez les Barotses, c’est Niambé… Ils jugent aussi que l’Etre suprême (Nzambi) est trop bon et trop bienveillant pour qu’il soit nécessaire de l’apaiser par des rites, des cérémonies ou des sacrifices. » De nombreux mots du pacifique en dérivent : en Nouvelle-Calédonie apopaleï, popalé, tahitien popaa,puré (porcelaine ) blanche  et homosexuel blanc, plus injurieux que l’abréviation avec redoublement diminutif rhérhé (voir mon blog sur Lapérouse). Le mot zombi, mort-vivant, utilisé en Afrique et aux Antilles,en dérive aussi ,même s’il a pu subir l’attraction sémantique de la racine ibère dheugh, façonner de la cire ou de l’argile (latin figura, grec teichos rempart) qu’on retrouve dans l’une des trois langues de Sicile, la langue ibère, dans les idylles de Théocrite, 2,110, sous la forme dagus, génitif dagudos, poupée en cire pour la magie et qu’on retrouve en Papouasie (douk-douk, sorcier masqué) , en Nouvelle-Calédonie (doghi, statuette maléfique, sorcier) et en Amérique du sud (doghi, sorcier). L’arabe toubab, donnant le français toubib, vient plutôt de l’anglais doctor, donnant takata.
En témoignent également  les  découvertes africaines, faites en 1938,  à Ifé : treize têtes de métal (dont un masque) faites justement d’un alliage de cuivre et de zinc, de laiton. Ces têtes ont été coulées à cire perdue et,  n’ayant que quelques millimètres d’épaisseur, elles révèlent une grande maîtrise. Toujours en Afrique noire,  on a  encore  trouvé une tête de gazelle faite d’un curieux alliage,  qui utilisait la même technique
qu’aux Salomon. Les Espagnols eurent la déception de s’apercevoir que leur Eldorado n’était pas de l’or massif,  mais seulement  de la chalcopyrite mêlée à du cuivre. La métallurgie insulaire et africaine était fort avancée, mais elle a vite disparu.


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