dimanche 6 mars 2016

Le grand serpent de mer et les énigmes de la flèche faîtière kanake.

       Le   grand serpent de mer  et les énigmes de la flèche faîtière  kanake.


Les théories psychologiques primitivistes expliquent,  par  l’étalement du visage et de la nuque   sur un plan unique, les formes énigmatiques   de la flèche. Ainsi Leenhardt, dans Notes d’ethnologie calédonienne, écrivait en 1930 : « j’ai longtemps interrogé pour connaître le détail de ces figures grotesques…La large plaque en bas est le ventre, au-dessus la cravate et le menton, puis les oreilles, le front, la fronde…La large plaque finale d’où s’élève la flèche  représente la nuque, allongée sur le même plan que la face. C’est, en effet, la vision qui préside au dessin d’enfant où les parties invisibles sont surajoutées sur le plan des parties visibles. » Le pasteur avait utilisé des travaux sue la Papouasie britannique : de là le nom de cssse- tête (p. 181, clubs with bird’s  head -and -neck  pattern ) à bec d’oiseau impropre pour la Calédonie, emprunté à Alfred Cort Haddon, The decorative Art of British new Guinea :a study  in Papuan Ethnography, 1894,réimprimé à la demande (alors que ce sont des représentationsq liées à la circoncision, voir mon blog Le secret des pétroglyphes ou le secret de  l’homme en calédonie et surtout pour nous la curieuse théorie exposée p.137 à propos des dessins géométriques à  base de « méandres » retrouvés au Japon, en Europe et en Amérique et dont il contesstait la parenté historique : « Il n’y a aucun doute que ces motifs [géométriques] sont dérivés de visages humains  qui ont été comprimés latéralement et développés verticalement en raison des exigences d’un espace restreint et de la difficulté de sculptures plus réalistes sur de telles étroites baguettes. »
Eliane Metais résume très honnêtement dans L’art néo-calédonien la situation de cette flèche faîtière  qu’elle qualifie de géométrique : elle est  « géométrique : on ne peut en retrouver les éléments, les indigènes réinterprétant  par analogie les figures qui  la constituent, car toute la sculpture change d’âme au cours des années… Personne ne peut en donner la traduction… Toutes les suppositions sont possibles, aucune certitude n’est permise, car les porteurs de cette culture ont disparu. »
  Il faut préciser que les motifs des flèches varient dans le temps et dans la géographie et qu’aucune explication ne vaudra pour toutes. Le sens en était réservé aux hommes, à l’exclusion des femmes, et aux initiés de très haut grade, en petit nombre, à l’exclusion des profanes. Il ne faut pas avoir peur de dire que, même à l’époque de Leenhardt, les insulaires ne pouvaient plus comprendre  cet art hermétique. . Les sculpteurs devaient, bien entendu, être initiés, mais en se recopiant les uns les autres  ils devaient rajouter des détails. Ce que j’ai écrit  en 1982 se rapportait  à une ré- interprétation moderne de la flèche, tandis que ce qui va suivre en décrit le sens originel.  De plus, le premier plan de flèche n’a pas obligatoirement été dressé en Calédonie, mais peut-être avant les  migrations.
 L’existence du calmar colossal (Mesonychoteuthis hamiltoni)  n’est connue  que depuis 2003. Avant cette date, rares étaient les témoignages sur les monstres habitant les rivages calédoniens.
Les témoignages sur un Serpent de mer (calmar colossal) en Calédonie.
J’emprunte au livre de J. J. Barloy , Serpent de mer et monstres aquatiques  , 1979, p.215, ces témoignages : le serpent de mer, « … en Nouvelle-Calédonie, est signalé dès 1878 ; un spécimen montre, cette année-là, sa tête et sa crinière aux officiers du navire de guerre français la  Seudre.
« En 1923, se situent plusieurs observations dont le combat avec l’Architeuthis » [dux, calmar géant et non calmar colossal].
 Extrait des Echos d’Altaïr, article consacré à l’apparition, d’un Grand Serpent de mer repéré en Nouvelle-Calédonie à plusieurs reprises durant l’année 1923.  « Le 22 novembre  de cette année-là, deux Néo-Calédoniennes [autochtones] se trouvent près de la pointe Abel, quand elles entendent une détonation semblable à un coup de fusil. A 60 mètres de distance, elles aperçoivent un curieux animal de couleur brun acajou avec une sorte de crête sur le dos. Il pousse un long sifflement et rejette « un jet de fumée, puis une gerbe d’eau ».
« Un gendarme à la  retraite, M.  Millot [ le père de Alexandre Mllot, décédé récemment} gardien de la quarantaine de l’îlot Freycinet, confirma à son tour  le témoignage de la femme kanak Fels. Voici ce qu’il déclara au quotidien  néo-calédonien La France Australe : « Le 22 septembre vers 16 heures, étant dans mon jardin, j’ai vu un jet d’eau dans la direction de la Pointe aux Lantanas. Ce jet me semblait avoir la hauteur de la colline qui domine cette pointe ; puis,  un autre jet,  moins élevé, plus à  l’ouest .Par trois fois, en quelques minutes, il m’a semblé voir plusieurs gros animaux, plus forts que des marsouins ; puis, avec regret, j’avais perdu de vue ces apparitions, quand un bruit sec, formidable, suivi d’un autre,  plus prolongé, me fit reprendre ma veille.  [Le bruit en question était dû au choc provoqué par l’animal quand il retombait dans l’eau.] Je vis plusieurs « morceaux » plus gros chacun qu’un cachalot, puis une masse noire : la queue présentait un écran de 2 mètres de hauteur sur 3 mètres de large, environ. Le bruit et les apparitions devinrent plus fréquents et plus nets, la couleur noire persistant. L’animal est venu entre Freycinet, l’île aux Chèvres et la presqu’île Ducos. Le plus beau tableau que j’en aie vu représentait trois dômes successifs de plusieurs mètres de haut, qui m’ont paru tenir plus de place que mon habitation. J’en étais à 1500 mètres ; ces trois morceaux me semblaient trois baleines à la suite les unes des autres. Je ne puis rendre plus exactement ce monstre, qui m’a paru plus poisson que serpent. La longueur est difficile à estimer ; les trois parties que j’ai vues,  se touchant presque, mesuraient plus de 20 mètres, et on devinait sous l’eau un prolongement de l’animal (à moins d’admettre une famille à la queue leu- leu). Je n’ai pas vu la tête ; mais à chaque apparition, j’ai entendu ce bruit formidable semblable au barrissement de l’éléphant, suivi du bruit du remous comparable à celui que ferait la chute de nombreuses feuilles de tôle. Il faisait calme plat. »
 « A nouveau, le dimanche 30 septembre, le monstre apparut. Cette fois, ce fut à 3 kilomètres du port de Nouméa, entre l’îlot Maître et le Tabou, que M. et Mme Bailly, accompagnés d’un Kanak nommé Emile, le virent distinctement alors qu’ils allaient pêcher en pétrolette .D’après M. Bailly, l’animal « avait érigé son corps verticalement comme un mât. Parfois,  il y avait deux branches dressées  à la fois, comme la tête et la queue d’un même animal. Ces deux branches s’abattaient en sens contraire, et dans le prolongement l’une de l’autre, avec grand bruit.  Mme Bailly précisa que la créature « jetait fréquemment un jet de fumée. » Extrait du livre de Bernard Heuvelmans, Le Grand Serpent -de- mer, 1975.
  Barloy se fonde sur la crinière aperçue pour penser que ces monstres  sont des chevaux marins (Halshippus olaimagni).
Pour Heuvelmans que je suivrais plus volontiers, il s’agit du calmar colossal. « Par moments, écrit-il,  [le calmar] avait projeté ses deux longs tentacules au-dessus de la surface, et parfois il avait rejeté de l’eau ou de la vapeur d’eau par son siphon locomoteur. » On peut aussi supposer que l’eau est rejetée par des cachalots qui s’attaquent aux calmars. Néanmoins, comme le souligne Heuvelmans, « cette identification est certainement légitime, mais elle n’explique pas l’excellente description que les femmes indigènes  ont faite d’un serpent- de- mer à crinière. Le comportement insolite et bruyant de la créature serait la preuve que cet animal était en difficulté dans un affrontement possible contre un Architeuthis  » (calmar géant et non calmar colossal). »
   Selon moi,  ce qu’on a pris pour une crinière peut  être constitué en réalité par les huit  tentacules projetés au-dessus de la tête du calmar colossal. Mais, même si  c’était bien un  cheval marin, comme le suppose Barloy,  il est d’ailleurs possible que la «  crinière «  du cheval marin  soit composée de filaments à fonction respiratoire.

Historique de la découverte néo-zélandaise d’un calmar colossal.
Le 17 septembre 2014,  120 000 personnes  de 180 pays  ont suivi sur le Net  l’autopsie du calmar colossal  (elle a duré 3 h 37), réalisée au Te Papa Tongareva (Muséum d’histoire naturelle de Nouvelle-Zélande) de Wellington. .
Les plus gros spécimens de calmar colossal peuvent mesurer 10 mètres et peser plus d’une tonne ; ils vivent à des profondeurs de 1000 mètres, là où l’obscurité est permanente et, le plus souvent,  dans les eaux de l’Antarctique. Les chercheurs en connaissaient l’existence grâce aux résidus retrouvés dans l’estomac des cachalots , qui sont  les uniques prédateurs du calmar  colossal. Le calmar colossal  se nourrit de légines antarctiques ou australes (Dissostichus mawsoni),  un gros  poisson  dentu de 2 mètres.
En 2003, un bateau de pêche en mer de Ross, près du continent Antarctique,  a capturé un  premier spécimen de 150 kilos, une femelle, mais il était  très abîmé. En 2007, un palangrier néo-zélandais,  à la recherche de légines australes,  remonte une autre femelle, de 495 kilos, mais en très mauvais état. Elle fut cependant réfrigérée, autopsiée et naturalisée au Musée. .
 Enfin, en 2 013, une autre femelle, de 350 kilos, faisant 1  mètre de circonférence et 4,2 mètres de longueur,  est remontée, pratiquement intacte cette fois.
« Ce céphalopode a trois cœurs, deux pour le fonctionnement des  branchies et un pour celui du  corps entier, un bec à la mâchoire inférieure dépassant la mandibule supérieure et longue de 5 cm, des tentacules armés de griffes, composés de chitine et dotés de la particularité de pouvoir effectuer des rotations afin d’agripper les proies. Les yeux sont énormes  et situés de chaque côté de la tête : ils mesurent 27 cm de diamètre, soit la taille d’une citrouille. Son corps est doté de deux ailerons d’un mètre de long sur un de large, de deux longs bras et de 8 tentacules pourvus  de photophores : ce sont des structures bio luminescentes  situées en bordure de rétine et qui, telles des lampes torches, émettent une lumière suffisante pour éclairer à  100 mètres devant l’animal et pour suppléer à la déficience de la vue bilatérale du calmar. Pour partir en chasse, le calmar place ses bras au-dessus de sa tête. » Voir photo ci-dessus (Sciences et Avenir, n°813, novembre 2014, Loïc Chauveau).
 Ce monstre,- et c’est ce qui nous intéresse, - a inspiré plusieurs formes d’art océanien.
Il y a différents types de flèches faîtières de Calédonie.
Voici le schéma qu’aujourd’hui les biologistes dressent du calmar colossal (Sciences et  Avenir et sur le Net), évocateur  de certaines flèches faîtières.
Certaines  flèches faîtières représentent le calmar colossal  à l’envers, le haut de la flèche représentant le bas du calmar, la tête étant vers le bas de la flèche.

Les deux ovales intrigants  caractéristiques de la flèche faîtière  représentent, le premier (bas du calmar, haut de la flèche), le plus volumineux, les deux ailerons du calmar  presque soudés ensemble, avec la « plume » « osseuse » entre ces deux nageoires dorsales, plume qui se  prolonge en flèche,   l’autre le ventre du calmar, sous la tête aux yeux placés latéralement, avec les deux bras ou fouets.  

                                            Le calmar colossal

  
                                              
                                                Photo 1 de 4 flèches  montrant , sous la « plume », les deux nageoires qui  paraissent constituer une seule flèche parce qu’elle sont vues soudées ensemble. On note les poches au noir, ressemblant à des collerettes,  bien visibles sur la 2e et sur la 4e.
Photo 2 Musée de Bourail dont le nom (traduit souvent par la queue du lézard ou  du Serpent de mer, raye) signifie en réalité la « plume » du calmar. Ailerons latéraux  soudés par-dessus la plume qui se prolonge en flèche  et composant un premier  « ventre »  rebondi, avec au-dessous à gauche un  tentacule (il  y en avait un autre à droite, qui a été complètement cassé) et deux bras ou fouets de chaque côté avec des guillemets  fermés à gauche et ouverts à droite symbolisant les crochets des deux bras,  bras bien plus longs que les 8 tentacules ;
puis encore un tentacule, le 3e   orienté vers le bas (il y en avait,  symétriquement , un  autre , le 4e , à droite qui a été  cassé ) ; puis,  la tête du calmar avec les yeux latéraux dont l’un cassé en partie ;  ensuite une « collerette »  , en réalité la poche au noir défensive du calmar,    un 5e  tentacules à gauche et un 6e   à droite dirigés vers le bas; enfin le ventre avec  trois têtes de flèches  qui sont autant  d’hameçons et  un rectangle avec double trait à gauche : ce sont les deux derniers tentacules manquants, le 7e et  le 8é Le quadrilatère vise  à faire comprendre la souplesse des  tentacules qui peuvent faire, et à deux reprises chacun, des angles droits. A noter que  les deux bras ou plutôt la double série de crochets acérés  qui arment le bout des deux bras  sont représentés ici par des guillemets ouverts et fermés. Les « guillemets » sont appelés maru  et désignent une ornementation qui se retrouve dans les conques de triton accrochées à la flèche.  


LE CALMAR GEANT (Architeuthis dux).



Le calmar géant, que les caméras d’une équipe scientifique japonaise ont réussi à saisir pour la première fois en 2005 dans le Pacifique Nord,  a pu donner aussi des représentations : celles-ci ne présentent pas, à première vue,  les deux  ventres  rebondis, si caractéristiques du calmar colossal.
 Photo 3 : le calmar géant, son bec avec la radula (racloir en latin), sorte de langue râpeuse du calmar  (la « cravate » de Leenhardt) et sa poche au noir (la « collerette » de Leenhardt).   
 Il semble que, sous la flèche, on ait un globe bien  moins important que celui du  calmar
colossal, constitué en réalité , lui aussi,  de  deux nageoires ;  puis les deux bras  aux extrémités tournées vers le bas , dont une  cassée  , avec au-dessous  le  visage aux   deux yeux latéraux comme dans la réalité (des trous de chaque côté)   et le bec avec la mandibule  supérieure et , à la mandibule inférieure, la radula , sorte de langue triangulaire ,  munie de dents et râpeuse (c’est cette  radula  qui est appelée  « cravate » par Leenhardt).. Chez le calmar, la mâchoire inférieure dépasse la mandibule supérieure, et elle est longue de 5 à 10 cm.
La « collerette », en réalité la poche au noir du calmar.
 Il y a ensuite , sur la flèche comme sur le schéma ci-joint,  au-dessous du bec,  ce que Leenhardt appelle la « collerette »  , en réalité la poche au noir , une glande productrice de mélanine,- enfin  les huit tentacules ,  intacts  ici , sauf les bouts des  tentacules extérieurs,  qui  sont à la hauteur de ce qui, pour l’artiste kanak , constitue une seconde poche au noir , le  foie pour nous ou au moins une glande digestive comme les biologistes l’appellent  de nos jours. .La poche à encre, équivalent du pancréas, est, chez le  calmar géant, encastrée dans le foie, mais telle n’est pas la représentation. . La poche au noir, en tout cas, est   l’emblème du calmar.
La sculpture a été réalisée par un artiste qui n’avait peut-être pas vu de ses yeux le monstre et qui n’avait pas les connaissances anatomiques d’Aristote ;  de là, à mon avis, le fait qu’il ait pris le foie, appelé glande digestive dans le schéma ci-dessous,  pour une seconde poche au noir contribuant à l’excrétion de l’encre et qu’il l’ait représenté dans le seconde masse transversale située vers la fin du corps du calmar. Effectivement,  la sépia est éjectée par l’anus. Il est intéressant de noter qu’à l’époque mycénienne, deux mille ans avant le christ et en Europe, la représentation était voisine , avec un bras en haut ,au sommet de  la tête 3 bras restants dont certains, cinq,  cassés,la radula, et surtout  un « ventre » en  bas chargé d’emmagasiner le noir (voir mon blog sur la déesse syrienne, à dolmens et à Crète mycénienne, pour des représentations sur la partie basse des  talés qui  peuvent refléter des œufs de seiche)

De là aussi  le fait que l’artiste mélanésien  ait ajouté deux yeux sur le front, si bien que les deux yeux  latéraux ,  représentés sur son modèle et conformes à  la  réalité , faisant dès lors double emploi,  soient devenus  des oreilles curieusement percées , absentes chez  le calmar. .
L’œil du calmar géant.
Heuvelmans écrit (Dans le sillage des monstres marins,  tome 2, p.271) à propos de l’œil de ce  monstre : « [Le fait ] que [son cristallin] ressemble,  tant par la forme que par l’aspect,  à une perle avait été remarqué depuis bien longtemps, puisque des fouilles archéologiques ont démontré qu’au temps des Incas, les Péruviens se servaient des cristallins des grands céphalopodes à des fins ornementales et que les anciens Egyptiens en mettaient comme yeux à leurs momies .A une époque plus récente, les indigènes des îles Sandwich en vendirent comme perles authentiques à de naïfs voyageurs russes. » On remarque aussi sur les masques calédoniens des opercules à la place des yeux.
  Les Tuamotous se servirent des cristallins comme boucles d’oreille qu’ils remplacèrent  plus tard par des perles lorsque commença le commerce de ces parures sacrées (taumi, etc.) vers  Tahiti. Mais le port d’une  perle, comme,  initialement, celui du cristallin, était un hommage au divin céphalopode et à sa force divine. Il sera aussi plus tard symbolisé par l’opercule d’un coquillage considéré comme l’œil du calmar  et porté en boucle d’oreille créole.

Dans la tribu de Méchin près de Kouaoua on a des flèches faîtières  similaires  avec au sommet,  les 8 tentacules dont certains sont cassés, puis le motif losangé représentant les deux bras, les yeux bien excentrés, la poche au noir qu’on peut  prendre  pour le nez, au-dessous la glande digestive,  plus petite  et la   radula, fort longue qu’on peut prendre pour une langue tirée. . Photo n°3 bis.ci-dessus.
La couleur blanche suffisait autrefois à marquer blanche suffisait autrefois à marquer le calmar comme vivant.
Les  couleurs du calmar.
Nous allons tenter de vérifier la couleur de ce calmar divin et colossal grâce au livre passionnant de Bernard Heuvelmans sur les calmars, Dans le sillage des monstres marins, Le kraken et le poulpe colossal, tome second, p. 298.  Etant rappelé  que ces monstres peuvent mesurer 20 m de long et peser 700 kg, voici ce que ce cryptozoologue écrit à propos de la couleur décrite par un observateur comme un manteau d’écarlate    :
« Cette teinte écarlate  est familière à la plupart des calmars d’une taille exceptionnelle.  En réalité il est impossible de définir la couleur des céphalopodes, car ceux-ci, grâce au jeu des chromatopohores qui garnissent leur peau, en changent avec une facilité surprenante.Ainsi les poulpes , qui , à l’état de repos, sont d’une couleur gris verdâtre, marqués de taches ou de mouchetures rousses, ont le corps parcouru de vagues multicolores quand ils sont excités : toutes les nuances du rouge, du pourpre, du violet et du bleu déferlent sur eux en un éclair et se fixent parfois en des marbrures très contrastées. ..Parlant d’un calmar -flèche de la Méditerranée, Jean-Baptiste Vérany écrivait : « Dans l’état de vie, ce céphalopode est d’un blanc livide peu transparent, se nuançant de bleu, de verdâtre et de rose irisé par des reflets argentés…Quand il a perdu toute vitalité, et que le jeu des points chromatophores a cessé, sa couleur est d’un  rouge brique uniforme. » Il n’est pas étonnant que les calmars géants trouvés moribonds sur une plage ou à la surface de la mer, -ou même leurs restes mutilés,- aient souvent été décrits comme d’un rouge plus ou moins éclatant.  » Tel est le cas au Japon, où akkoro (de ligoro, l’enroulé, parfois le serpent) désigne le calmar super- géant, Architeuthis dux et où il est décrit comme de couleur rouge ».
Le motif dit  de l’ « œil qui pleure » si répandu à la proue des pirogues polynésiennes , , comme celui des « côtes saillantes » prises pour un signe de famine,   me semblent  refléter les bras du calmar super- géant , comme le v des poteries djomon .De même ,  certaines figures géométriques  des urnes ouatom comme celle du  losange,  renvoient  peut-être  aux bras  des  encornets
. Il y a  ainsi comme deux poches au noir  sur la flèche, l’une  correspondant à la poche au noir de l’animal,  au- dessous du foie sur le schéma , juste sous le menton sur la flèche,   la « collerette » de Leenhardt,   la seconde  à la hauteur du bout  des tentacules et de l’extrémité du corps, le foie dans lequel la poche au noir est encastrée sur le calmar,  où l’animal, selon l’artiste mélanésien,  puise pour expulser l’encre noire , la sépia destinée à se cacher de son ennemi et à aveugler celui-ci..   A noter ce fait surprenant, -s’il est exact,- que le nuage projeté épouserait, dit-on,  la forme du calmar, pour achever de terroriser l’ennemi. 
A remarquer les angles que forment à deux reprises ces tentacules, qui sont  dotés de la particularité remarquable  de pouvoir effectuer des rotations afin d’agripper et de saisir les proies.
Photo 4 d’une flèche montrant  six tentacules intacts sur les 8  du calmar géant. Au-dessous des ces 6 tentacules, on voit  les zigzags des deux  bras du calmar géant ,  qui   représentent les rotations de ces tentacules entortillées. Il s’agit des bras  pliés et repliés avec leurs crochets.  Puis les deux nageoires.
Le visage avec des trous latéraux  pour les  yeux, la collerette (la poche au noir), le ventre avec une croix.
 La croix  sur le ventre, signe qui se retrouve sur les pétroglyphes,  représente  le nombril , euphémisme pour vagin emprunté aux cérémonies de circoncision.

Photo 5 montrant 5 flèches faîtières appelées pwam-abaï, le ventre (pwam) du calmar (abaï).  La 4e flèche à partir de la gauche est  celle étudiée ci-dessus, la 5e montre  le calmar colossal avec ses deux ovales caractéristiques.
La 3e montre d’abord 3 tentacules sur les 8, puis 7 passages des deux bras (dans la réalité, rappelons-le, ils  font 2 mètres de long),  l’un des deux  bras à droite se prolongeant longuement   vers le bas, l’autre étant cassé. Ces zigzags ou ce treillis losangé (maru)  représente les 2 bras. . Puis la « collerette » (la poche au noir ) et enfin le ventre.  


Le conte du poulpe et du rat, répandu à Tiga (  le nom de Tiga vient de tegan, nom du serpent de mer ou calmar , cf. près de La Foa Tiha et le teganpaïk à la fin de l’article) et dans le reste de la Calédonie , doit être le réaménagement et l’utilisation technologique d’une ancienne légende destinée à expliquer le combat du calmar géant (tiga) et du cachalot  (l’absence de cheveux raillée dans le conte , c’est-à-dire de tentacules ,nous amenant à songer au  crâne lisse du cachalot) : le rat ayant été introduit par les bateaux européens, le nom du leurre en forme de rat qui servait de piège pour piéger les calmars et qui ressemblait  plus à un calmar avec ses tentacules (les calmars sont  aussi  agressifs  vis-à-vis de  leurs congénères ) qu’à un rat   doit être récent.
 La « plume » ou glaive  des calmars
La « plume »  du calmar, constituée de carbonate de calcium, est l’équivalent de l’ « os de seiche » des plages calédoniennes : le pseudo- squelette de cet invertébré ressemble d’ailleurs vraiment à une plume. Il a servi de modèle aux insulaires du Pacifique pour leurs armes courbes, boumerangs, de bou  et mere, bras du calmar, ou autres,  comme les patu-patu ou mere polynésiens.   Tant il est vrai qu’on  a trop  sous-estimé le rôle du monde sous-marin dans les représentations de ces insulaires.
Les casses- têtes dits à bec d’oiseau ou à bec de tortue
 
Les casse-tête dit à bec d’oiseau n’ont rien de spécifique à la Nouvelle-Calédonie. On les trouve aussi aux Fiji, aux Samoa, à Tonga…L’expression bec d’oiseau vient  de Leenhardt qui l’a empruntée à Haddon et à la Papouasie  où ce type de casse-tête  était d’usage courant, Il renvoie, selon moi,  au bec de ces calmars colossaux,  et ils seraient mieux appelés « casse -têtes à bec de calmar colossal  » En langue Paici, à Ponérihouen , ils sont appelés goporo puwa rawerewa, . On reconnaît dans puwa  le nom ancien du  calmar.. Otto Dempwolff  établit pour la racine austronésienne du nom du calmar la forme kwigwa, qui donne puwa en paîci
  Les casses -têtes sont faits de bois importé par les Européens comme l’acacia et sont donc récents. Il a dû y avoir une erreur de traduction sur le mot  oiseau (quel oiseau calédonien a un bec pareil ?),  qui semble signifier tortue  ou plutôt tortue- serpent, c’est-à-dire calmar.  

Les chambranles.
On reconnaît sur les talés la poche au  noir sous la forme d’une mince cordelette. Ce qu’on prend pour une langue tirée dans la région de Hienghène est en réalité le bec du calmar.colossal, ou plutôt  la radula, sorte de langue du calmar très râpeuse munie de dents. Ce qui surprend sur certains talés, c’est une sorte de nez en bec d’aigle, très peu mélanésien : en réalité, c’était le bec du calmar avec sa mandibule inférieure proéminente, dépassant la mâchoire supérieure  et longue de 5 à 10 cm.
Autres représentations.
  Il a existé d’autres monstres marins qui ont pu servir pour  d’autres représentations sur les flèches : l’anguille géante, le reptile océanique géant qui a laissé son nom à  Gosana  (Ouvéa aux Loyauté, îles où le calmar géant semble absent des flèches) : le mot gosana est parent du  nom caraïbe d’un gros lézard,  l’iguana, et du goana ou goarge australien, sorte de varan . le gosana d’Ouvéa  était-il  un crocodile marin  ?.Le varan   a aussi  inspiré certains pétroglyphes.
La hache ostensoir et le tiki maori.
Origine australienne de la « hache-ostensoir »et du tiki.  
Geza Roheim, dans Héros phalliques et sqymboles maternels dans la mythologie australienne, p.315, a étudié après R. et C. Berndt dans la région d’Ooldea en Australie, en provenance du sud-est, de Imbo, les objets les plus sacrés et les plus sacrés des tribus de cette région d’Australie occidentale du Sud  et représentant :
A)  les corps métamorphosés de Wati Kutjara, soit
1) une grande pierre en jadéite vert foncé, effilée à ses extrémités et arrondie comme les planchettes cérémonielles ; elle représente le corps concret de Milpali, le gpoana blanc(le lézard à barbe, Jew lizard, Amphibolurus barbatus, lequel présente une grande variété de colorations : blanche, verte, etc. ;
2) une pierre similaire, en jadéite vert foncé, représentant le corps de l’iguane ou en australien  goana noir (dragon d’eau, Physignathus longirostris ou Physignathus lesueurii,) que les aborigènes appellent amunga quinia quinia. ).Serait-ce l’origine du tiki maori ?
B) une planche Tjilbil, soit un mince objet vert foncé en jadéite ; la planche cérémonielle a été découpée dans un arbre dédié à un enfant issu des Watji Kutjara retrouvée par l’enfant Walulu qui l’emporta avec lui dans la Voie lactée.
C) 13 œufs milpali  de femmes iguanes, -des pierres ovales, tachetées d’ocre rouge.
La cérémonie est un rite de multiplication des iguanes junga et milpali. , analogue pour le but aux pétroglyphes selon moi (voir mon prochain article).
On peut supposer qu’au cours d’une migration due à la sécheresse les Aborigènes l’emportèrent en Calédonie, où les reptiles en cause n’existaient pas. Ils a  ménagèrent alors leurs pierres sacrées : ils mirent un manche à la pierre verte et se servirent des 13 œufs de pierre pour provoquer le bruit d’un bull- roarer lorsqu’on secoue le manche, gardant sa  forme sphérique à laquelle ils adjoignirent au fil du temps  ses huit courroies ou  «  tentacules ». Elle  représenta le corps du  calmar  avec ses huit tentacules. On l’appelle, dans la  parlure de Canala  na-kweta, na est l’article, et où kweta semblerait venir de la racine austronésienne kwigwa, calmar,  ou  encore dans d’autres parlures d’un  nom apparenté, bwet  ou i-bwet., ou encore kono , euphémisme signifiant la verte à cause de la couleur de la serpentine, ou encore toki , de tigwo, de la racine  kwigwa signifiant calmar, à rapprocher du toponyme  de Koutio)-Kweta, « à la forme rebondie »,. Le nom de la carangue , toki, et celui de la hache- ostensoir  sont identiques dans de nombreux dialectes.  
 La base renflée du manche (le corps du calmar) représente le second ovale des flèches, c’est-à-dire la seconde poche à encre (le foie en réalité).
On peut se demander si les haches au disque noir (serpentine noire ou tourmaline noire locale) ne représentent pas une ancienne tradition, à cause de la couleur de l’encre.
L’origine du tiki maori de Nouvelle-Zélande, en jade vert clair : soit une plaquette de jade destinée à assurer la fécondité de certains reptiles comestibles, ou bien un œuf d’iguane conformément à l’origine australienne de la tradition, soit  , peut-être,  un mammifère marin mystérieux ,  le teganpaïk ,présent aussi en Calédonie,   une sorte d’otarie  à long cou, parente de l’ornithorynque, Megalotaria longicollis Heuvelmans 1965.
Selon  B. Heuvelmans, dans Sur la piste  des bêtes ignorées, p.133, tome 1, ce mammifère marin   a été entendu pour la première fois en 1801 en Australie.  
 « En juin 1801, le minéralogiste Charles Bailly et ses compagnons de l’expédition de Nicolas Baudin s’enfonçaient dans l’intérieur des terres après avoir donné le nom de leur bâtiment, le Géographe, à la baie de la côte occidentale.  Et soudain les voilà glacés de terreur par un rugissement terrible, plus bruyant qu’un beuglement de taureau, et qui semble sortir des roseaux de la rivière des Cygnes. Terrorisés, nos hommes ne demandent pas leur reste et s’éloignent à toutes jambes. Mais il ne fait pas de doute à leurs yeux qu’une bête aquatique formidable hante le nouveau continent. » Or, dans le nord de la Nouvelle-Calédonie,  Edouard Normandon a raconté avoir  entendu s’élever des marécages de l’embouchure du Diahot l’effrayant rugissement d’un animal, et les Mélanésiens ont confirmé ses dires, tandis que  des métropolitains incrédules se gaussaient et cherchaient à expliquer le phénomène  par le cri d’un lion évadé d’un cirque du temps des Américains ! Le  nom  de ce mammifère marin subsiste dans le nom de la tribu littorale de Touho teganpaïk (de tegan, serpent de mer, et de païk, « long-cou » du type du  héron des récifs (Ardea sacra albolineata). Cela correspond en Australie au katenpaï (métathèse religieuse de tekan-, paï) ou tunatapan (de  tutan, de tukan pan).Terenba en Nouvelle-Calédonie a la même origine : la palatale g devient souvent r.
 Ce mammifère marin (Heuvelmans,  op. cit. p.125, tome 2 , et  Peter Costello, dans A la recherche des monstres lacustres,  p. 233) pondrait des œufs mais allaiterait ses petits comme l’ornithorynque et ressemblerait à  une otarie à long cou, avec trois bosses, caractérisée par une crinière blanche, et des rugissements rappelant ceux d’un lion.
Maoris et  Polynésiens  semblent avoir été frappés par  l’allaitement maternel  des petits d’otaries à la surface de la mer, les pores des bosses diffusant le lait. Rien d’étonnant dès lors si les tiki (nom pouvant être apparenté à tegan ,tuka,  serpent de mer) autrefois gravés par trois dans des dents d’otarie aux Touamotou, en gardent le souvenir, car on peut être tenté de  voir dans ces figures inexpliquées que constituent les tikis porte-bonheur de Nouvelle-Zélande la représentation d’un embryon d’otarie à long cou, dans lequel  les Polynésiens voyaient le début de toute vie. Pour eux, le fait,  à partir de  l’œuf  cosmique, de passer à l’allaitement emblématique des vivipares représente l’histoire de la vie,  de  son origine à notre époque. D’autre part, le  haka  (de taka, serpent  de mer ?) peut imiter le cri du teganpaïk .









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