vendredi 13 janvier 2017

LA SIGNIFICATION DES DOLMENS

LE DOLMEN IMMERGE EN SAISON HUMIDE DE PERONVILLE  (EURE-ET –LOIR) : REFLEXION SUR LA FONCTION DES DOLMENS.  




 On affirme souvent  que les dolmens seraient des tombes collectives. Mais examinons le cas  du dolmen installé en plein  milieu du lit de la Conie, à Peronville. Le nom de Peronville  signifie la ferme (latin villa) du perron, de la grosse pierre, entendons ici  le dolmen, et ce nom date du XIIe siècle. Voici la description (d’ailleurs inexacte) qu’en donne, Max Gilbert  dans Pierres mégalithiques (menhirs et dolmens) en Normandie, Guernsey Press, Guernesey,  1956, p.  128 : «  trois  dolmens,  sous l’un desquels [ il s’agit  le dolmen immergé ]   jaillit une source ». Les deux autres dolmens semblent  avoir été détruits. Peut-être étaient ils situés au lieu-dit Frileuse (de frilosa, signifiant  riche en mégalithes appelés frit en ibère, cf le site corse de Filitosa).
On l’appelle encore Pierre Saint -Marc, christianisation du nom mar, qui signifie pierre et dont on retrouve le radical en français dans marelle, méreau, ainsi que dans le nom du lieu-dit [Saint-Sauveur-]  Marville, signifiant la ferme (latin villa) de la pierre,  dans le nom de Saint-Maur  et dans celui de La Marque, mégalithe de Lanneray au sortir des Goislardières en allant vers la Départementale D 955.
  Ce mégalithe de Péronville est analogue à deux autres dolmens immergés ou quasi immergés.  
Le dolmen immergé de la boire de Champtocé- sur- Loire  (près d’Angers, Maine-et-Loire)
La boire est le nom dialectal donné aujourd’hui à ce  faux bras de la Loire,  sans beaucoup d’eau, voire boueux, mais le mot est à l’origine le nom du dolmen lui-même qui n’était plus compris : la mare, puis la mware, enfin la boire. On a identifié sept blocs de grès, dépassant de quelques 12 à 40 cm au-dessus de l’eau, et qui étaient inaccessibles sans entrer dans l’eau ou sans  bateau ; ils étaient situés à une quinzaine de mètres de la berge du moment de la rédaction de l’article.
L’allée couverte de l’étang de  Vaubuisson près du ruisseau la Romme (Maine-et-Loire)
 Citons encore la petite allée couverte voisine, celle du Vaubuisson,  dont le nom signifie vallée  du buxidion, nom d’origine latine,  donné originellement aux polissoirs et signifiant peigne en buis à cause des dents du peigne qui évoquent les stries du polissoir, plus qu’à moitié enterrée dans la vase, submergée à la moindre crue de la Loire et accessible seulement en plein cœur de l’été.
Interprétation de la fonction secondaire  de ces « perrons » immergés : le rite de l’appel de la pluie.
Ce type de dolmen a  été réutilisé pour faire pleuvoir, par magie imitative : on versait de l’eau sur la dalle supérieure du dolmen, et la nature était censée imiter la chute de l’eau et faisait pleuvoir.  De même nous avons  en Corse, sur la commune de Tizzano,  le dolmen de Fontaniccia, la fontaine maudite, c’est-à-dire la fontaine des païens, au nom révélateur. Chrétien de Troyes, vers 1170, a décrit  dans Le chevalier au lion (trad. André Mary, Gallimard) Paris,  1944,  p 132,  la fontaine merveilleuse de Barenton : « tu verras cette fontaine qui bouillonne et qui est plus froide que le marbre. Le plus bel arbre de la nature la couvre de son ombre ; il est vert en toute saison, et il y pend un bassin de fer par une longue chaîne qui tombe jusque dans la fontaine. Auprès tu trouveras un perron (dolmen) ,[ me dit-il], comme jamais   je n’en vis et   ne saurais te dire, et de l’autre côté une chapelle , petite, mais très belle ; si tu prends de l’eau dans le bassin et que tu la répandes sur le perron, il s’élèvera une si épouvantable tempête que nul animal ne demeurera dans le bois, chevreuil, daim, cerf ni porc ; les oiseaux même fuiront à tire- d’aile, car tu verras foudroyer, venter, tonner et pleuvoir et les arbres fendus tomber sous les éclairs […] Si fort qu’il plût, le pin ne laissait passer une seule goutte de la pluie qui coulait toute par-dessus .Je vis pendu à l’arbre le bassin qui était non de fer, mais de l’or le plus fin. Quant à la fontaine, vous pouvez croire qu’elle bouillonnait comme eau chaude. Le perron était d’émeraude, avec quatre rubis plus flamboyants que le soleil au matin quand il paraît à l’orient, et il était percé comme un tonneau. Sur ma conscience, je ne vous mentirai en rien. Je fus curieux de voir la merveille de la tempête, et ce fut folie de ma part, et je m’en fusse désisté volontiers, si j’avais pu, aussitôt que j’eus arrosé le perron de l’eau du bassin .J’en versai trop, je le crains, car je vis le ciel tellement démonté que plus de quatorze éclairs à la fois frappaient mes yeux, et que les nues jetaient pêle-mêle de la neige, de la pluie et de la grêle. »
Cette fontaine merveilleuse de  est mentionnée par Wace, Jacques de Vitry, Thomas de Cantinpré, et Guillaume Le Breton. Le dominicain T. de Cantinpré raconte en ces termes la « merveille de Bretagne » : « le prieur  arrive à une fontaine admirablement limpide, sur laquelle se trouvait une pierre semblable à un autel [un dolmen] avec des colonnes de marbre, et aussitôt le frère y  répandit l’eau. Incontinent le ciel s’obscurcit, les nuages commencèrent à affluer, le tonnerre gronda, la pluie se mit à tomber et la foudre à étinceler, et ce fut une telle inondation qu’il semblait que la toute la terre allait s’abîmer à une lieue alentour. »
Selon A. Mary, le modèle de cette fontaine se trouverait  dans la forêt de Paimpont, près du château de Comper, où,  à six kilomètres et demi, on trouve un dolmen.
André Mary cite un autre exemple de ce rite magique  pour provoquer la pluie, en Côte -d’Or à Magny- Lambert, concernant la fontaine Crot Saint-Martin: « Pour conjurer la sécheresse, neuf jeunes filles s’y rendaient pendant neuf jours de suite ; l’une d’elles se plongeait jusqu’à la ceinture dans la fontaine qu’elle épuisait à l’aide de seaux que prenaient tour à tour et vidaient ses compagnes. » Cette cérémonie était entremêlée de prières pour demander au ciel la pluie et se déroula jusque vers 1830.
 Les noms des dolmens.
Outre la Grosse Pierre (nom qui, à l’origine, désignait peut-être un polissoir), une près de Brou et une autre près des Gâts à Châteaudun), l’homme médiéval disposait des mots  Pierre -pèse ou pois (du latin pensile, suspendue, sur piliers), Pierrelaye, du gaulois  lada, coffre,  Pierrelatte, par fausse étymologie et dérivation du latin lata, large,  au lieu  du gaulois  lada, coffre, comme Pierre plate et  Pierre large.
 L’allée couverte seulement en partie s’appelait , comme à Saint- Avit- les –Guespières (Eure-et-Loir) , Quincampoix , de guinguet pois , c’est –à- dire la pierre suspendue sur des piliers (pensile), mais trop courte (adjectif guinguet) pour recouvrir complètement l’allée.   
Un des noms de dolmen  fréquents est un composé de -mont,  du francique mound, ensemble de pierres: Beaumont, à Trizay- lès- Bonneval, de Beau, venant de Belsama, la divinité qui donne son nom à la Beauce, Nermont, où le premier élément, ner-, du latin  niger, signifie noir, mais signifiait  originellement serpent, quin signifie donc l’ensemble de pierres protégé par le  Serpent.
La fonction primitive de ces  dolmens : des lieux d’initiation à la date du solstice d’hiver comme les autres dolmens, et non des tombes collectives pour les chefs.
Le dolmen immergé de la Conie ne saurait avoir été un lieu d’inhumation ni individuelle ni collective, puisqu’il est inondable. Il ne  pouvait naturellement pas  être enterré et ne possédait donc pas de tumulus, qu’il s’agisse de terre ou de cailloux.  On peut supposer que le sol y avait été surhaussé, de façon à obliger les néophytes à n’avoir que la tête hors de l’eau, leur  tête étant prise entre l’eau et la face inférieure de la dalle de couverture du dolmen. La date des fêtes nous est livrée par le nom  des nombreux dolmens appelés  Jolimont dans le nord de la France, composé de -mont,  du francique mound, ensemble de pierres et de Joli,, du scandinave jôl, nouvelle année, solstice d’hiver du 21 décembre avec  les débordements qui l’accompagnaient.
La «  hauteur sous plafond » de la pierre Saint-Marc à Péronville.
Max Gilbert (op. cit. p 144) fait  remarquer que l’entrée des dolmens normands est trop petite pour permettre le passage aisé d’un homme. « Sous les dolmens de Martinvast et de Flamantville, [à supposer aux dolmens une fonction d’inhumation, ce que ne fait d’ailleurs pas Max  Gilbert], on ne pourrait mettre qu’un homme enterré assis ou les jambes pliées […] Pour le   dolmen de Mortain seul un lapin pourrait maintenant se glisser sous la dalle inférieure ; sous les dolmens de la Grandière à Joué- les- Bois et du Faldouet à Jersey, un homme pourrait se tenir debout en inclinant la tête, mais ne pourrait y évoluer ni y vivre. Dans la plupart des allées couvertes, un enfant ne pourrait pas se tenir debout, mais seulement entrer à genoux ». Ainsi, il s’agissait  de contraindre  les candidats à l’initiation  à se baisser et à marcher à quatre pattes comme des bébés qui n’ont pas encore appris à marcher.
La sortie du dolmen
Cette sortie,  symbole de la  re-naissance,   s’effectuait pour l’initié en soulevant, seul ou à plusieurs, et parfois même ,  comme à Péronville,  dans l’eau, quelque énorme pierre appelée spécifiquement tombe (le « bouchon ») qu’on trouve encore souvent tout près du dolmen .
LES DONNEES DE L’ANTHROPOLOGIE
D’INSPIRATION PSYCHANALYTIQUE DES SOCIETES SANS ECRITURE.
Bruno Bettelheim, dans Les blessures symboliques, Tel
Gallimard, Paris, 1962, p.141, décrit un rituel australien qui lui paraît « significatif quant à son simulacre d’existence intra-utérine et d’émergence à la naissance : « quand les garçons (Nandi, au Kenya) sont remis (de la circoncision), on célèbre la cérémonie kapikiyai. Au moyen d’un barrage, un plan d’eau est délimité sur la rivière ; une petite hutte est édifiée (au milieu de la rivière). Tous les garçons se déshabillent et, précédés par le plus ancien (l’initiateur), ils rampent les uns derrière les autres et traversent la hutte par quatre fois ; ils sont alors complètement submergés par l’eau. »
Après cette dernière cérémonie d’initiation, « il est permis  aux garçons de sortir et de voir des gens, mas ils doivent encore porter des vêtements de femmes. »(A. Holls, The Nandi : Their langage and folklore, The Clarendon Press, Oxford, 1909, p. 56). La submersion est, bien entendu, un cérémonial initiatique très courant. Dans notre propre civilisation, nous avons le baptême. Mais, dans le rituel nandi, l’immersion qui, si souvent, symbolise le retour à la matrice ou la sortie de celle-ci, se combine ici avec un autre symbole de l’utérus, la hutte. De plus,  les garçons sont tenus de ramper, ce qui signifie qu’ils se rapprochent de la position foetale. Habituellement, la hutte qui apparaît dans de nombreuses cérémonies initiatiques peut, en tant que symbole maternel, être laissée de côté ; après tout, les initiés sont bien obligés de passer leur retraite quelque part, et la hutte est une habitation d’un usage commun Dans le cas présent, cependant, elle est véritablement dans l’eau, donc reliée directement à l’immersion et à la reptation. On peut voir dans cette association comme une tentative de recréer l’existence intra-utérine où l’enfant est confiné dans un lieu sombre et exigu, entouré de liquide. Dans les tribus australiennes… on voit, dans de nombreux détails, les hommes traiter les initiés comme s’ils étaient des bébés qu’ils viendraient d’enfanter. Par exemple, ils portent les garçons sur leurs épaules comme les femmes portent leurs bébés. »
 Il suffit de remplacer la hutte par le dolmen entouré d’eau et l’analogie est parfaite. On peut rapprocher , dans une région où il y a des dolmens comme la Corse , le rite de la couvade décrit pour la Corse par un auteur grec, Diodore de Sicile, XI : « Á la naissance de leurs enfants, les Corses  observent une cérémonie tout à fait bizarre. Ils n'ont aucun soin de leurs femmes pendant qu'elles sont en travail, mais le mari se couche sur un lit et s'y tient pendant un certain nombre de jours comme une accouchée. »  Comme ce texte fut traduit en latin et donna lieu à une version latine assez couramment donnée aux élèves, de là vient la légende de la paresse corse, -à l’origine un mot d’esprit des professeurs de latin sur le « travail » (l’accouchement)  des femmes corses, sur la paresse des hommes corses qui , pendant que leurs épouses sont en travail, demeurent au lit et présentent les syndromes de la couvade .
Dans les îles Trobriand, « dès que l’enfant est né, le père s’installe dans son hamac, s’abstient de tout travail, s’abstient  de viande  et de nourriture à l’exception d’une bouillie claire. Il ne se lave  pas, et surtout s’abstient de toucher toute arme ; les femmes de la tribu prennent soin de lui et le nourrissent… Cet état se prolonge pendant des jours, parfois pendant des semaines. » Comme l’écrit Malinovski, « la fonction de la couvade représente l’établissement de la paternité sociale par l’assimilation symbolique du père à la mère. »
Tout ceci confirme à nos yeux le rôle du dolmen comme lieu d’initiation, c’est-à-dire comme lieu où l’initié grâce à son initiateur devient un homme

Les dieux et déesses de l’initiation et de l’enfance telles que le latin en a conservé les noms: Statanus, Statulinus, Stata Mater,   Annotina,  Mamoiada, Mamra, Mammisi.
Les dolmens furent initialement des lieux d’initiation, comme l’indiquent certains noms bien interprétés. Par exemple, en Corse, on les appelle stantara, le lieu où on apprend à marcher debout, altération de  Statanus, Statanus étant  le nom à Rome  du dieu  qui présidait aux premiers pas de l’enfance. Son  nom est à mettre en rapport avec Stata Mater,  assimilée à la déesse du foyer Vesta. L’hypocoristique affectueux Statulinus, pour Statanus, .était aussi utilisé. Statanus est  le dieu  de l’initiation qui faisait que les hommes  cessent de marcher à quatre pattes et se lèvent comme l’homme de l’énigme du Sphinx. Les candidats à l’initiation se trouvaient dans une «  maison pour nains » [pris au figuré :  qui n’ont pas atteint la taille des adultes],  comme les appellent les Bretons (Ti- ar -Boudiked, Ty- ar- Chorriket ou Ti- ar- Korriganed) et les Corses, ou les Euréliens avec le Berceau de Gargantua, comme à Changé (Saint - Piat), même s’il avait fallu des géants, peut-être nains à leur tour  lorsqu’ils étaient enfants,  pour  construire la demeure. 
 En Sardaigne, nous avons  Mamoiada (celle qui ressemble à une mère, avec suffixe de ressemblance –ada) et au Portugal, Mamra, de mam-ada ,  à rapprocher de Mammisi, mot copte signifiant le lieu de naissance et introduit par Champollion pour désigner la chapelle où se déroulait chaque année une cérémonie anniversaire de la naissance de l’homme véritable, entendons de la date de l’initiation et non de la date de la naissance physique..
De même, le  nom  de Murumendi au Pays basque renvoie à des gouffres où tous les sept ans se passait une procession avec danse et  sacrifice en l’honneur de la déesse Mari. Nous rencontrons aussi en pays basque  le nom de la déesse Anta, altération  du  nom de la déesse romaine Annotina, la déesse qui protégeait les enfants d’un an, âge où l’on apprend normalement à marcher, et les initiés.
  Venons-en aux  rites de passage eux-mêmes tels qu’on peut les reconstituer par l’imagination.  Evoquons d’abord le cas des dolmens percés , dont la pierre de fermeture a un trou, avec un bouchon,  que l’initié devait enlever pour passer de l’autre côté et naître réellement. Le nom de Perceval, selon l’étymologie populaire celui qui perce la dalle d’entrée,  désigne celui qui a réussi à sortir tout seul du dolmen où, en tant que candidat à l’initiation, il avait été enfermé avec ses compagnons.
   La danse consistait à piétiner rythmiquement le sol jonché d’ossements ancestraux, broyés menu, afin de s’assimiler leurs vertus, ossements dont on trouve parfois trace. et qui ont pu donner à croire qu’il s’agissait de sépulcres.
  Ensuite,  l’initié devait boire un verre de sang dans un biberon en cuir , ou en osier tressé , appelé en grec kissubion , où le lait était remplacé par du sang frais. En Corse, on a trouvé, près du dolmen Fontaniccia,  des pigments rouges, destinés à imiter le sang que l’initié était censé boire pour devenir un homme. .
  Le pavé de saint Lazare en Indre –et- Loire à Crouzilles, 700 m avant l’entrée  de l’Ile-Bouchard, est teinté de rouge. En 1842, l’abbé Bourassé écrit à son propos : « Des traditions terribles se sont conservées dans le pays. Lorsque la table est mouillée par la pluie, elle prend une teinte foncée d’un rouge ferrugineux ; on prétend que c’est la trace du sang des victimes qu’on  a égorgées sur cet autel. On montre encore une rigole peu profonde  et une cavité irrégulière destinées à recevoir le sang qui coulait sous le couteau de silex du druide [anachronisme dont il ne faut pas tenir compte] sacrificateur »  Le nom relativement moderne de pavé de saint Lazare fait  allusion à  Lazare  ressuscité par le Christ. Mais le ressuscité était celui qui avait bu du sang dans la cupule du dolmen.   Pareillement,  à Comper dans le Morbihan,  les menhirs sont faits de schiste pourpré, comme en Angleterre le Chalice Well de Glastonbury, le puits du Calice,  d’où coule une eau rougeâtre, comme  le menhir des  Pierres Rouges, à  Bridlington, dans le Yorkshire : on est en droit de supposer que les dolmens du voisinage devaient être faits de la même matière.
 Dans les régions méditerranéennes,  lorsque les mystères de Dionysos ou de Mithra  eurent remplacé  ceux de Déméter, le baptême eut lieu, comme dans le culte de Mithra,  par aspersion du sang d’un taureau sacrifié au-dessus du néophyte blotti dans un caveau (qui n’est pas sans rappeler le sillon de roche que forment certains alignements de pierres), ceci  afin d’évoquer  la couleur vermeille de la grappe coupée et foulée aux pieds.
Les dolmens et l’évolution de leur utilité.
 Les dolmens sont le résultat d’une longue évolution qui a commencé il y a quelques 10000 ans en Europe après  la sédentarisation de leurs constructeurs et l’invention de  l’agriculture en Asie mineure. .Avant les dolmens comme celui de Péronville, il y a d’abord eu  ces parents pauvres des dolmens, dédaignés à tort, qui leur sont antérieurs, les doubles alignements de pierres  en forme d’allées  totalement découvertes, puis les allées couvertes qui leur  ont succédé.
Les doubles alignements de pierres  ou allées totalement découvertes, comme  celle du lieu-dit Les  Marques, au sortir du hameau des Goislardières en allant de Lanneray à Marboué (Eure-et-Loir) et les premières cérémonies d’initiation, avant celles qui furent par la suite réalisées dans les dolmens.
On peut apercevoir, en bordure immédiate d’un petit cours d’eau et parallèlement à celui-ci, un double alignement de blocs de pierre verticaux qui  ne dépassent pas le  sol de plus de 70 cm, double alignement  qui se termine en un berceau fermé sans toit. Il n’est pas possible, à cause de la contiguïté du ruisseau, d’enterrer cette allée qui, comme le dolmen de Péronville, n’a donc jamais été  couverte de terre. Le nom Les Marques (en gaulois, mar,  pierre, avec marque du pluriel k) désigne les pierres verticales qui composent cette allée.
A la Forêt (Saint- Denis-les- Ponts, Eure –et- Loir), près d’un puits qui émettait un souffle sonore terrifiant, sorte de bull- roarers (littéralement taureaux rugissants, instruments  destinés à écarter les démons présents dans les néophytes  et qu’il fallait  à tout prix chasser ), il y avait le même type de monument, fréquent dans le voisinage, comme  au lieu-dit  Saint- Ladres ( le pluriel  Ladres après le singulier saint  est à remarquer), entre Châtillon- en- Dunois et Brou, ou le dolmen du Puy aux Ladres à  Villiers- Saint- Orien. Puy a le sens de fête, de cérémonie, d’assemblée. Le mot  ladre est la corruption de jadre , c’est-à-dire de jeunes non encore initiés (cf. le nom gindre, du latin junior, signifiant en ancien français trop jeune et conservé dans les patronymes : c’était le plus jeune apprenti boulanger chargé de broyer très finement et de pétrir la farine).
Aux Marques, le berceau  de l’allée est le lieu d’initiation finale des néophytes. Le vocable mortier, l’auge taillée dans une seule pierre  où l’on écrase le grain , où on le fait «  mourir »,   vient du latin  mortarium , dérivé du latin  mors, la mort.  La résurrection des néophytes, leur renaissance, est destinée à mimer la renaissance de l’orge, après sa  «  mort » hivernale. De même que l’orge était coupée, liée, battue, broyée dans le mortier, et enfin dévorée, sauf une précieuse part mise en réserve  pour assurer sa survie et sa renaissance au printemps de l’année suivante, de même le passage des néophytes entre des pierres qui rappellent celles du mortier, ainsi que les blessures symboliques qui leur sont infligées,  ont pour mission d’assurer leur résurrection finale en tant que vrais hommes accomplis  de la tribu. Ainsi, on faisait semblant d’enterrer, comme si c’était du grain, les jeunes garçons  dans un sillon de roche fermé aux deux bouts, où ils devaient pénétrer par le haut  et où, lorsqu’ils s’y étaient mis à quatre pattes,  on leur lançait des mottes de terre et des branchages. Enfin, on les aspergeait avec de l’eau puisée tout à côté dans le ruisseau,  par une sorte de rite baptismal. Les blocs des parois de ces allées découvertes laissaient entre eux des interstices à travers lesquels les infortunés  voyaient s’abattre sur  eux un déluge de terre et d’eau, au bruit démoniaque des instruments appelés bull- roarers.
L’évolution du système dolménique.
  La dépouille mortelle  du roi était si précieuse qu’on  séparait les membres  du reste du  corps, la tête en particulier, afin que la recherche de ces précieux restes soit rendue beaucoup plus difficile.En effet, le but était de prévenir la violation des sépultures royales, d’empêcher la profanation des ossements sacrés dont la sauvegarde garantissait, croyait-on, le salut de la population, et qui  étaient un gage de fécondité pour la contrée tout entière. On est dérouté  devant tant de travaux de terrassement  inutiles à nos yeux, puisqu’ils n’étaient pas destinés à  fortifier un  site, mais seulement  à égarer les recherches malveillantes.  Ces levées de terre serpentines et labyrinthiques sont, à nos yeux, beaucoup plus longues qu’il ne serait nécessaire, mais elles  dissimulaient la sépulture des rois divins et  détournaient  de  l’envie de la rechercher.
L’apparition de la crémation, avec les Gaulois.
Un peuple qui utilisait la crémation, savoir les Gaulois, fit son apparition en Gaule, pense-t-on, au plus tard vers le VIII è siècle.  A son arrivée,  il trouva sur place les allées et les dolmens en tant que lieux  d’initiation déjà installés, ainsi que des levées de terre servant à inhumer les restes royaux. Ce peuple  ne pratiquait pas l’initiation de ses jeunes de la même façon que ses prédécesseurs et il  imagina une utilité nouvelle pour les dolmens, désormais sans emploi, en y entreposant des urnes contenant les cendres de ses chefs   et en les recouvrant de terre, ainsi que pour les  levées de terre qui abritaient les restes des chefs ibères. 
 L’introduction en Gaule  du rite de la crémation et de l’incinération est très importante, car elle a supprimé la longue nécessité de cacher les restes royaux , le crâne notamment, grâce à ces colossaux travaux de terrassement  destinés à rendre la tâche de profanation impossible (ce pourrait être le cas de la  première enceinte du Bois des Buttes ), en même temps qu’avait lieu,  pour la première fois, la séparation bien nette dans les mentalités, du corps  dispersé sous la  forme de cendres impalpables ( ce serait le cas de la seconde enceinte) et de l’esprit. Alors que jusqu’alors la préoccupation principale était d’empêcher l’ennemi, l’étranger jaloux et qui avait  le mauvais œil, de se saisir,  à des fins maléfiques,  des restes royaux, il fallait désormais, les cendres étant devenues introuvables, interdire à tout prix à l’âme du défunt de revenir s’incarner à nouveau comme, croyait-on, elle en avait  le désir et de retourner tourmenter les vivants. Le verrouillage, à l’avant et à l’arrière du berceau dolménique, qui fut d’abord destiné à l’initiation,  et sa couverture par un ou plusieurs lourds blocs de pierre, purent offrir une réponse à cette angoisse de voir l’âme du défunt incinéré revenir sur terre. 
  Les nouveaux arrivants décidèrent de déposer les urnes où ils conservaient  les cendres de leurs chefs   dans les dolmens qui n’avaient plus leur utilité première de chambre d’initiation. Mais le dolmen était trop visible pour ne pas pouvoir  exciter un désir de profanation qui pouvait s’exercer aisément. Aussi couvrirent-ils le dolmen de  terre (tertre) ou de cailloux (cairn), donnant naissance au tumulus funéraire.    
Conclusion récapitulative sur les dolmens et leur évolution.
La fonction première des allées non couvertes et même des allées couvertes,   comme  des  dolmens,  n’était aucunement d’être des sépulcres : si leur but avait été de dissimuler les restes royaux afin d’éviter que les ennemis ne les trouvent  et ne puissent  s’en emparer, provoquant ainsi la ruine magique du royaume, il ne fallait naturellement pas les enterrer dans un tombeau de pierres qui se repérait sans peine. Ce fut d’abord des chambres d’initiation  pour néophytes.
Une autre réutilisation, là où la conservation des cendres pouvait se révéler dangereuse comme à Péronville, consista  à les inclure dans des rites magiques d’invocation à la pluie.
 Quant aux  cadavres des rois, ils  furent d’abord  enterrés dans des levées de terre très longues, où les trouver aurait demandé, soit  une tâche énorme, soit  un heureux hasard, comme dans la première enceinte du bois des Goislardières (Saint- Denis- les- Ponts). Lorsque l’incinération fut pratiquée, les levées de terre, par reprise de la tradition,  continuèrent un temps à être pratiquées et abritèrent la partie la plus précieuse du cadavre : la tête (seconde enceinte et nom du bois des Buttes),  tandis que, par la suite,  les dolmens, recouverts ou non d’un tumulus, servirent de lieu de dépôt pour les  urnes pleines des  cendres royales.
NB : Pour le sens des représentations énigmatiques datant de l’âge des métaux et qui figurent sur les seuls mégalithes bretons, voir mon article Les représentations sur les dolmens et les mégalithes bretons  http://coldcase28.blogspot.fr/ sur www.blogger.com/fr


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